LA BOÎTE A SECRETS

Gentilly. Début des anné es 80.
Elle s'appelait Louise Metz, elle venait d'Amsterdam et j'ai oublié aujourd'hui jusqu'à sa silhouette et même la couleur de ses yeux. Lorsque je l'ai connue, elle avait déjà 80 ans. Elle sculptait des monnaies et ses propres sculptures mélangeaient l'abstrait et le figuratif. On se croisait parfois et on échangeait quelques mots autour de l'art en général, de la peinture et la sculpture en particulier.
Elle devait repartir dans son pays et me confiant une clé, elle me demanda de débarrasser son atelier. Tout ce qui est à l'intérieur vous appartient, me dit-elle, j'ai vendu l'atelier et il faut le vider !

Par une très belle journée de printemps, je décide de m'atteler à la tâche. Un peu ému, je tourne la clé dans la serrure et ose à peine franchir le seuil de l'atelier. Il était baigné de lumière et j'aurais pu m'y installer pour peindre. Il restait quelques outils de sculpture, mais surtout des toiles, des pinceaux et des tubes de couleurs laissés par le dernier locataire qui était peintre.
L'odeur douce‚tre de la térébenthine flottait encore dans l'air. J'ouvrais les tubes, les reniflais, admirais les masques africains qui ornaient encore les murs. J'avisais un rideau dans le fond de la pièce et l'écartais. Un capharnaüm de toiles et de cartons attendait... Toute une vie en suspens.
Dans un coin, sur le sol, traînait une caisse en bois, rectangulaire, sans intérêt et protégée par un couvercle. La caisse avait été patinée par le passage du temps. J'en évaluais le poids. Poussant un soupir et jetant un coup d'oeil autour de moi, j'étais en train de me dire que tout cela prendrait bien plus de temps que prévu à débarrasser. Avec délicatesse, je soulevais le couvercle de la caisse.
Le contraste entre le noir de la caisse et la farandole de couleurs qui me sauta à la figure, me laissa bouche bée. Des couleurs à l'état pur ! C'était une boîte de pigments ! Des bleus profonds, des rouges éclatants, des verts flamboyants et des jaunes dignes de Van Gogh ! Un rêve de peintre ! Pendant au moins dix minutes, je n'arrêtais pas d'ouvrir et de fermer la boîte, juste pour le plaisir toujours renouvelé de la surprise et de la découverte.

Transmise d'un artiste à un autre, la boîte était parvenue jusqu'à moi. Tendrement, je la refermais et l'emportais. Pas de place dans ma maison. Elle finit dans la cave. De temps à autre, quand le temps était trop gris ou que l'inspiration me manquait, j'ouvrais la boîte et le même émerveillement m'envahissait.
Les années passèrent. Depuis trois ans, j'ai pris l'habitude de peindre dans le jardin de mon ami Dominique à Gentilly. Un après-midi, j'apportais la boîte et lui proposais de l'ouvrir. Je guettais sur son visage, le moment magique où elle révèlerait son secret. Il souleva le couvercle avec précaution, ouvris la bouche et la referma. Au silence succéda un rire d'enfant heureux.
Une fois de plus la magie avait opéré. La boîte n'a pas retrouvé son coin de cave obscur, elle trône maintenant au milieu de l'atelier de Dominique, faisant la joie des amis de passage. De temps à autre, lui et moi, on étale les pigments purs de rouge, de bleu ou de jaune, juste pour le plaisir. Ils ont plus de soixante ans et nous parlent d'une autre époque. Celle où les peintres fabriquaient eux-mêmes leurs couleurs.
Découverte dans l'atelier d'un peintre aujourd'hui disparu, la boîte à pigments est devenue la photo de l'affiche de Zig-Zag 2009.
La transmission est assurée puisque nous la partageons avec vous.

Michel CHAUVIN